La Lekkarod est une course internationale de mi-distance de chiens de traineaux qui se déroule dans les Alpes. La course se passe normalement sur 9 jours, mais a été réduite à 5 jours pour l’édition de 2024 à cause du manque d’enneigement dans certaines stations qui devaient accueillir l’évènement.
Arrivée et installation
La veille du départ, les chiens passent tous au vetcheck pour vérifier qu’ils sont tous aptes à courir. La team vétérinaire regarde l’état général des chiens (dentition, muqueuses, oreilles, yeux, pelage) cherche d’éventuels troubles digestifs, réalise une écoute cardiaque et pulmonaire, puis palpe et mobilise chaque articulation.
Ils seront présents toute la journée sur la stake out (aire de stationnement des chiens) et à l’arrivée de chaque étape de la course pour répondre aux questions des mushers et veiller à ce que chaque chien soit capable de continuer le lendemain.
Il existe aussi un contrôle aléatoire anti-dopage auquel nous avons dû nous soumettre. C’est Napache qui a été sélectionné au hasard pour un test urinaire et sanguin.
Pour les courses françaises affiliées à la FFST, c’est le règlement antidopage FFST, régi et contrôlé par l’ADFLD, qui prévaut. La liste des produits et méthodes interdits est disponible sur le site https://ffstmushing.org/ et sur celui de l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage : www.afld.fr). Sur une course, personne ne peut effectuer un traitement médicamenteux à un chien sans autorisation préalable du vétérinaire de course. Selon la nature du traitement, le chien devra éventuellement être exclu définitivement ou temporairement de la compétition.
Alimentation et hydratation dans le cadre d’un effort physique intense
Lorsqu’un chien réalise un effort physique intense (qui plus est sur plusieurs jours voire plusieurs semaines), il s’expose à d’autres risques que ceux que nous connaissons au quotidien. On compte parmi ces risques la déshydratation, et une mauvaise prise alimentaire qui peut mener à différents troubles digestifs (retournement d’estomac, diarrhées d’effort, …). Une bonne gestion de l’alimentation et du taux d’hydratation du chien permet aussi de prévenir des pathologies métaboliques, osseuses, musculaires et tendineuses.
Le choix de l’alimentation du chien de sport dépend d’autres contraintes. En effet, l’énergie doit être disponible rapidement et facilement dans la cellule musculaire, mais sa fabrication doit donner le minimum de déchet possible (acide lactique, gaz carbonique, eau).
Les deux sources principales d’énergie sont les lipides et les glucides. Je vous invite grandement à vous pencher sur la thèse du DV Marion Coley intitulée « La préparation physique du chien d’agility » (Eole Nationale Vétérinaire d’Alfort, 2012), qui décrit comment adapter la gamelle des chiens sportifspour répondre à leurs besoins nutritifs.
Pour limiter les risques de vomissement, de torsion d’estomac, de diarrhées, et d’hyperthermie, il convient de rationner les chiens en proposant 3 repas par jour lors d’une course. Espacer les repas d’une à deux heures avant la course permet une meilleure gestion de la vidange de l’estomac et du rectum.
De plus, après un effort, il faut également prévoir une à deux heures avant de nourrir les chiens car le flux sanguin est majoritairement dirigé vers les muscles, diminuant l’oxygène disponible dans les intestins pour bien assimiler les nutriments de la ration.
Nourrissage : gamelle de sportif :
- Croquettes
- Eau : proposer de l’alimentation réhydratée permet de lutter contre les déshydratations des chiens sportifs.
- Spiruline : les chiens bénéficiaient d’une cure d’1 mois. Cette algue contient des oligo-éléments, des vitamines et des protéines végétales. Elle permet de lutter contre le stress oxydatif et stimule le système immunitaire.
- Harpagophytum : soutien anti-inflammatoire, analgésique et antioxydante.
- Caniboost : complément alimentaire contenant de la L. Carnitine, un acide-aminé qui aide les cellules à transformer la graisse en carburant, prolongeant les capacités énergétiques en cas d’effort. Cet a-a aide également à maintenir le taux de glucose dans le sang. Elle limite la fatigue et les contractions musculaires et aide à la récupération.
- Electrolytes avant et après pour l’hydratation
- Huile de sardines + filet de sardine : protéines animales.
Mercredi 20 mars 2024 : J1 de course
7h : nourrissage + sortie hygiénique
8h : hydratation
Musher meeting 11H : explication du dérouler des 5 prochains jours, tirage au sort du numéro, établissement des ordres de passage et détermination des horaires de passage. 17h52, cela nous permet d’établir un horaire pour commencer l’échauffement des chiens.
A 15h, boisson hydratation + 1/3 de ration
A 16h30 : musher meeting de l’étape du jour : infos sur le tracé, l’enneigement, les modifications de dernières minutes, les règles de sécurité et de conduite lors des croisements ou des doublements, la signalisation….
16h50 : échauffement des chiens : Debbie, Nala, Napache, Notu, Lekka, Pépite, Pearl, Simba
- Marche 5’ puis trot 5’ on veut qu’ils fassent un maximum leurs besoins pour vider l’ampoule rectale et qu’ils augmentent leur température corporelle et le rythme cardiaque et pulmonaire
- Exercices ciblés : reculer, tourner serrer, tenir sur les postérieurs
- Étirement actifs (cervical, rachis, triceps, ischio-jambiers)
- Mobilisation des articulations phalangiennes, du carpe et des membres en flexion
- Massages friction des différents groupes musculaires
Dans la foulée, on graisse les coussinets, on met les bottines, les harnais. Les chiens ne montent pas en excitation, ils sont concentrés par les exercices qu’ils ont réalisés. L’opération nous prend 15min, le moins possible pour ne pas perdre le bénéfice de l’échauffement. On attelle au traineau, l’excitation monte. Départ.
Départ 17h52 pour 26km de piste avec 240m de dénivelé. 1h28.
La qualité du terrain est fluctuante selon si les pistes ont été ouvertes juste pour la Lekkarod ou si ce sont des pistes de ski de fond. C’est mou, les chiens sont en difficultés mais rentre tout de même tous au galop !
Félicitation des chiens, hydratation immédiate. On part marcher activement pendant une dizaine de minutes.
Place ensuite au check up complet de récupération : tension digestive, tension musculaire, inspection des coussinets, des phalanges, des griffes et ergots, massage, dynamique sur un doute de boiterie de Notu, détente du diaphragme…
Les chiens mangent 1h30 plus tard. Repos. Dernière sortie à 23h. Ils sont en plein sommeil profond et ce n’est pas facile pour eux d’émerger. Le repos est primordial et ne doit pas être écourté au détriment d’éventuels exercice.
Jeudi 21 mars 2024 : J2 de course
Le matin, nous observons Notu boiter à cause d’une plaie inter-digité qu’il a dû lécher pendant la nuit, aujourd’hui il sera au repos avec Lekka. Ils sont remplacés par Togo et Balto.
Départ 17h52 pour 24 km de piste avec 256 m de dénivelé. 1h35.
Les conditions de neige ont été particulièrement difficiles. Il a plu toute l’après-midi, les chiens s’enfonçaient profondément dans la neige, ils ont quasiment tous perdu leurs bottines.
En revenant, certains était mal à l’aise en marchant mais ne présenter pas de boiterie franche.
Après le protocole d’hydratation, de récupération (30’ à 1h), et e check up ostéo (psoas, diaphragme, vessie, cervicales basses), les chiens restent au repos 1h avant de manger le repas du soir. En les sortant de la caisse, Debbie et Napache présentaient des boiteries antérieurs ou postérieurs avec une réelle suppression d’appui. Ils présentaient tous des plaies interdigitées suffisamment douloureuses pour remettre en question la suite.
Les conditions d’enneigement étant mauvaises, les chiens ne courront pas les autres manches. Il leur faudra du baume réparateur et du temps.
Vendredi 22 mars 2024 : journée repos
Repos pour tous les chiens. J’en profite pour faire une séance ostéo aux chiens qui ne reprendront pas la compétition. Pierre a pu s’inscrire sur le championnat de France de Skijoring avec Lekka et Simba qui ne présentaient aucune difficulté particulière. Le championnat de France se déroule sur deux jours.
Samedi 23 et dimanche 24 mars 2024 : Championnat de France de Skijoring
Nous avons appliqué les mêmes protocoles d’échauffement et de récupération pour Lekka, qui a couru la première boucle de 21 km du samedi, et Simba qui a couru celle de 26km du dimanche. Les chiens étaient en super forme, et sont tous les deux rentrés avec encore beaucoup de motivation.
Pierre, Lekka et Simba ont été médaillés vice-champion de France de Skijoering en catégorie nordique, un immense bravo à eux trois !
Je ne remercierai jamais assez toute la famille Chappe pour m'avoir intégrer à leur univers et fais confiance dans le suivi des chiens. Merci Pierre, Anne-Marie, et Jeromine !
Intérêt de l’échauffement et de la récupération post-effort
Il n’est pas anecdotique de voir des chiens réaliser un effort physique intense sans échauffement, quel que soit la discipline sportive. Prendre un temps pour permettre au chien de se mettre en condition nous semble pourtant primordial. Idéalement, il faut réaliser l’échauffement 45 à 30 minutes avant le début de l’effort selon la température extérieure. Plus l’échauffement est éloigné dans le temps du départ, plus il perd de son bénéfice.
L’échauffement présente plusieurs avantages sur le plan physique, métabolique et mental.
Déjà, l’échauffement global du corps, via la marche et le trot, permet d’augmenter la température musculaire, le rythme cardiaque et respiratoire, afin de mettre les chiens en condition optimale pour le métabolisme énergétique qui représente une forte demande en oxygène et nutriment. Cette étape permet aussi aux chiens d’éliminer les selles afin de limiter d’éventuelles lésions hémorragiques du rectum à l’effort
Ensuite, l’échauffement spécifique, via des exercices ciblés, réduit de façon non négligeable le risque d’affections (entorse, déchirure, courbatures, …). Il augmente la flexibilité articulaire, stimule la nutrition du cartilage, et permet une meilleure coordination musculaire en augmentant la vitesse de contraction/relâchement des muscles. Ces exercices doivent être actifs, c’est-à-dire que le chien doit les réaliser lui-même. En effet, les étirements passifs (où le propriétaire vient lui-même étirer son chien) semblent contre indiquer avant un effort sportif pour plusieurs raisons (constriction des vaisseaux sanguins, diminuant l’apport en oxygène et en nutriment aux muscles, tolérance à l’étirement ce qui augmente le risque de blessure, réorganisation linéaire des fibrilles de collagène contenues dans les tendons).
Enfin, il conditionne les chiens au départ imminent de la course, ce qui leur permet de se concentrer et de les aider à gérer leur excitation.
Il existe différents protocoles d’échauffement adaptés selon les disciplines sportifs.
Quant à la récupération post-effort, elle s’organise également en plusieurs phases :
- Une réhydratation immédiate (par petite quantité) pour compenser les pertes hydriques
- Récupération active pour diminuer progressivement les rythmes cardiaque et respiratoire, dissiper la chaleur, et continuer à évacuer les déchets accumuler lors du métabolisme énergétique. Les chiens doivent rester active en marche 15 à 25 minutes selon l’effort.
- Des massages pour continuer passivement le maintien de l’irrigation musculaire et du drainage lymphatique. Ils permettent aussi d’évaluer les douleurs musculaires et les zones de chaleurs et de gonflement sur lesquels il peut être judicieux d’appliquer des poches de froid pour ses effets antalgiques et anti-inflammatoires.
Le but de la récupération post-effort est de réduire un maximum la fatigue musculaire.
Si les protocoles d’échauffement et de récupération vous intéressent, je serai ravie d’échanger à ce sujet. Voici également une liste de documentation au sujet des chiens sportifs pour ceux qui le souhaitent :
MARIE, Dominantes pathologiques chez le chien d’agility : enquête circonstanciée et analyse des facteurs de risques en relation avec la gestuelle du chien à l’effort, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVA, 2015
AGNESE, La thermorégulation chez le chien de traineau lors d’effort de moyenne distance : étude de terrain conduite durant l’édition 2018 de la Lekkarod, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVA, 2020
CLERO, Intérêt d’une supplémentation nutritionnelle adaptée dans l’optimisation de la performance physique de travail du chien d’utilité, Médecine vétérinaire et santé animale, Université Pierre et Marie Curie, 2015
COLEY, La préparation physique du chien d’agility, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVA, 2012
MALLET, Préparation du chien de canicross et prévention des affections, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVA, 2019
VIALLET, La médecine vétérinaire au service du chien de traineau de compétition : historique et évolutions actuelles, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVL, 2007
TALEUX, Influence de la ration alimentaire à l’entrainement et en course sur le score corporel, les performances sportives et la prévalence d’affections chez des chiens de traineau : exemple lors de la Grande Odyssée, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, VetAgro Sup, Lyon, 2019
FOURIEZ-LABLEE, Les affections musculaires chez le chien de sport, Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVA, 2004
FOUBERT, Contribution à l’étude de l’adaptation à l’effort de chiens de canicross par réalisation de tests d’effort sur tapis de course et proposition d’un plan d’entrainement, Thèse le Doctorat Vétérinaire, VetAgro Sup, LYON, 2020
GRANDJEAN et al., Guide pratique du chien de sport et d’utilité, Aniwa Publishing, 1979